[Interview] Réda-Alexandre Chappaz évoque pour Educadis l’évolution de l’e-learning à l’école et en entreprise
Réda-Alexandre Chappaz est un business angel, ancien publicitaire et fondateur de Cenacle, une société spécialisée dans l’écosystème startup, tournée vers l’introduction des entreprises, groupes, financiers et autres institutions dans le monde de l’innovation.
Pouvez-vous présenter Cenacle, et comment vous est venue l’idée de fonder la société ?
L’idée est venue d’un constat très simple : en matière d’investissement, les startups, les investisseurs ou les institutions d’Etat ne comprenaient généralement pas les problématiques d’investissements, que ce soient avec de grands ou de modestes fonds. A la fondation de Cenacle en 2013, nous avons lancé un premier modèle de détecteur et créateurs d’outils pour l’écosystème startup. Cette année nous avons eu une mutation, les gens ont compris que nous étions des spécialistes de l’écosystème en tant qu’observateurs, et non pas acteurs. Nous sommes devenus une agence de notations pour corporates, avec des financiers posant des questions sur l’écosystème : vers qui se tourner, avec qui travailler, quel incubateur ou accélérateur est influent, dans quels pays, etc.
Je trouve le terme « mentor » intéressant, que ce soit pour un professeur, comme pour un entrepreneur ou un patron ; je suis mentor pour des directeurs de PME qui veulent trouver de nouveaux modèles économiques. Nous avons tous besoin d’une hiérarchie de savoirs, le mentor se plaçant juste entre le professeur et, si l’on peut dire, le « gourou ».
Dans un contexte mondial marqué par l’intense développement de l’e-learning, que représente cette forme d’apprentissage pour les startups ?
Il s’agit à la fois d’un marché colossal, et aussi d’un mythe dont on parle depuis des années. Mon père a réalisé une importante carrière chez IBM, où l’e-learning était déjà en développement depuis les années 1970. L’e-learning a toujours existé depuis la naissance de l’informatique, que ce soit via internet, des logiciels ou de simples programmes. Une startup peut avoir une idée révolutionnaire (et c’est ce qu’on lui demande), mais ne pas être dans le bon timing, avec un projet trop en avance sur son temps, du point de vue technologique. De nos jours, le développement d’internet et la généralisation du haut-débit permettent aux start-ups de travailler amplement sur ce domaine, avec par exemple les tutoriels et les cours en ligne, et d’assurer une promotion fulgurante à l’e-learning, dont le concept existait au demeurant depuis plusieurs dizaines d’années.
Les grandes universités et entreprises américaines sont toujours citées comme références en la matière, à la pointe de l’e-learning, devant ou aux côtés des pays asiatiques. L’écart avec l’Europe et en particulier la France est-il vraiment conséquent ?
Le contraste entre les universités américaines et européennes est évidemment frappant, ne serait-ce qu’au niveau des cours magistraux. Harvard propose par exemple des MOOCs sur des sujets extrêmes diversifiés, une pratique banalisée depuis près de dix ans. En France le phénomène débute seulement son expansion, et surtout dans les plus prestigieuses écoles supérieures (HEC, Science Po…), qui commencent enfin à filmer leurs cours, et demandent à leurs professeurs de réaliser des tutoriels et à les poster sur internet. Cependant le retard est vraiment, vraiment très important.
En entreprise, on parle plutôt de formation (workshop), un procédé qui commence également à arriver dans le monde du corporate, souvent sous forme de cessions filmées en salle et retransmises à tous les pôles concernés, et également diffusées en externe sur réseaux sociaux. De mon observation au niveau des startups, la demande en workshop n’émane pas vraiment du corporate ; ce sont plutôt les entreprises de formation qui disposent de nouveaux matériels technologiques et sont ainsi en mesure d’offrir de nouvelles options de formation.
Sur un plan national, que pensez-vous des annonces gouvernementales de « grand plan numérique pour l’Ecole de la République » ?
Je trouve que c’est un véritable challenge que de vouloir digitaliser l’école. J’ai plus l’impression qu’on veut apporter une notion numérique aux élèves, alors que les précédents plans numériques de l’Education nationale n’étaient pas un plein succès non pas à cause d’un manque d’engouement des élèves vers le numérique, mais plutôt du fait du personnel des établissements qui en avait peur ou pas envie. Les parents d’élèves ont appris et les foyers français sont désormais les mieux équipés au monde. Pour leurs enfants, le numérique est devenu un reflex de vie, voir un prolongement. Alors pourquoi chercher à leur apprendre ce qu’ils connaissent déjà. Utilisons le numérique comme un prolongement ou une optimisation. La plupart des élèves sont déjà « digitalisés ». Ils sont nés dans l’air numérique et tous leurs réflexes de vie sont optimisés par cela.
Il faut apprendre aux futures générations de personnels scolaires à se concentrer sur le numérique. Les promotions actuelles sont déjà utilisateurs voir natif de l’air du numérique. Il sera donc très simple de faire la bascule du personnel au professionnel, tout en expliquant que le numérique ne pourra jamais les remplacer. Il faudra rendre leurs actions moins globales, bien plus cellulaires et ciblées sur un élève. La magie du numérique, c’est la distance. Un élève en difficultés pourrait ainsi mieux communiquer de chez lui sans subir le regard moqueur de la classe.
Quel est selon vous l’avenir mondial de l’e-learning dans les prochaines années, expansion ou essoufflement ?
Pour évoquer un exemple qui nous touche de manière collatérale, le continent africain est une source de contrastes assez fous. On peut trouver des gens qui payent avec leurs téléphones portables, sans pour autant avoir l’électricité dans leurs villages. De tels pays, ainsi qu’en Inde et dans des nations qui s’ouvrent tout juste à l’extérieur (Siam), représentent un potentiel formidable pour l’e-learning. Celui-ci pourrait, mais je dis bien pourrait, être un substitut de l’école, et permettre d’éduquer plus rapidement et efficacement les enfants. Malgré tout l’e-learning ne peut pas remplacer l’école, qui est là pour apprendre à vivre en société. A mon sens, il ne faut pas désacraliser le professeur, ce qui reviendrait à désacraliser l’école. Le premier bénéfice de l’école est d’apprendre à vivre en société : quelle est sa place dans la société et comment s’y intégrer. L’école devra toujours rester l’incarnation de la socialisation.
Quelles sont vos perspectives pour Cenacle, vos désirs et ambitions pour les prochaines années ?
Je n’ai pas du tout conçu Cénacle pour avoir des ambitions ou faire du business. Je suis un ancien publicitaire qui est sorti de l’entreprenariat. J’ai compris que je ne voulais pas profiter de ma propre dynamique mais plutôt d’aider des personnes intéressantes et intelligentes avec des projets qui portent une valeur réelle. Ma vocation de « mentor startup » est née de cette façon. Tout le monde ne souhaite pas rentrer dans le monde des startups uniquement par opportunité, mais pour faire en sorte de répondre à ce concept : working progress. Ce qui signifie d’arrêter de stagner, de vouloir aller de l’avant. Ce qui m’intéresse, c’est de faire avancer les choses avec des gens qui veulent également avancer. Tout simplement.
Merci à Réda-Alexandre Chappaz d’avoir répondu aux questions d’Educadis.