[Interview] Marie Harou évoque pour Educadis les enjeux de l'e-learning et du numérique pour les plus jeunes
Pouvez-vous nous présenter votre blog MyChildrenPlanet ?
MyChildrenPlanet est un blog sur les technologies numériques dès le plus jeune âge, fondé en 2012. Les actualités s'adressent aux parents, aux enseignants, aux chercheurs, aux professionnels et aux passionnés pour appréhender au mieux les technologies qui nous entourent et leur apprentissage.
Le blog vise à apporter des informations sur les technologies numériques auprès du jeune public mais également des exemples d'utilisation, des retours d'expérience et des applis pédagogiques dans le but d’apporter de la matière à nos différents lecteurs. Nous essayons également de sensibiliser les visiteurs à l'intégration du numérique dans le système scolaire français pour se familiariser efficacement aux outils technologiques : l’intérêt pédagogique, la sécurité des données personnelles, etc. Récemment, nous avons ouvert une nouvelle rubrique intitulée "e-environnement" afin de diffuser des informations sur les outils numériques dédiés à l'environnement :
- Capéveil, un site qui propose des jeux et activités sur la nature et l'environnement;
- GDF Suez avec “j'apprends l'énergie”, un dispositif numérique pluridisciplinaire sur l'énergie et ses enjeux avec des ressources, un serious game collège/lycée, des concours "créer un menu économe en énergie" par exemple et les métiers du secteur;
- CITIZENWATT, une interface de visualisation de sa consommation électrique dans les foyers via des capteurs connectés. Des ateliers sont organisés dans les écoles.
Nous souhaitons aller plus loin en développant des applis pédagogiques à destination du jeune public mais également des enseignants et des groupes scolaires. MyChildrenPlanet va donc s'associer à un Bureau d'étude thermique MindCube, actuellement en création, pour créer un pôle applicatif et apporter des applis pouvant être utilisées aussi bien dans le cadre scolaire qu'à la maison. Nous voulons apporter des outils ludiques pour sensibiliser les jeunes à l'environnement et à ses problématiques et ainsi développer une attitude responsable dès le plus jeune âge.
Quels sont les intérêts d'utiliser les TICE dès le plus jeune âge? Les enfants sont-ils réceptifs?
L'intégration des TICE dès le plus jeune âge permet aux enfants de se familiariser avec les technologies qui les entourent et comprendre leur utilisation, leurs atouts, leurs risques. Le but est vraiment d'apporter une pratique intelligente des différents outils technologiques pour éviter les problèmes que nous rencontrons actuellement avec des générations Y et Z : les individus diffusent des informations personnelles sans mesurer les risques et manquent de connaissances en matière de cybersécurité car ils sont nés avec ces technologies sans apprentissage au préalable (leurs parents découvrant également ces outils). Aujourd'hui, des ressources, des campagnes de sensibilisation sur les données personnelles envahissent la toile et la presse. Mais le mal est fait. Les données diffusées sur le net ne peuvent être complètement supprimées. On peut le constater avec la polémique sur le Droit à l'oubli de Google ou les moteurs de recherches dits confidentiels. Les internautes découvrent que les “gros” et autres entreprises conservent toutes les données à des fins commerciales. L'intégration des TICE dès le plus jeune âge est donc un moyen d'anticiper les risques et de préserver son image et sa réputation en ligne. N'oublions pas que les employeurs nous chassent aujourd'hui sur la toile, que des ados subissent du harcèlement sur les réseaux sociaux.
D’autre part, il ne faut pas oublier l'intérêt pédagogique de ces nouveaux outils. Avec un dispositif pédagogique élaboré en conséquence dans les établissements scolaires, ces outils peuvent enrichir les méthodes d'apprentissages grâce aux plateformes pédagogiques par exemple. On peut citer dernièrement la sortie de Corpus par Canopé, une plateforme qui permet aux enseignants, grâce à des scénarios pédagogiques, d'explorer le corps humain en 3D avec ses élèves, de consulter des ressources et réaliser des activités pédagogiques. On se dirige vers une organisation différente de l'apprentissage en proposant du contenu innovant et passionnant où l'élève peut participer, découvrir, échanger avec ses camarades et approfondir ses recherches à son domicile. L'élève devient au fur et à mesure acteur de sa réussite en développant sa curiosité et son autonomie.
On peut également citer Scott Robinson qui a développé Code Blocks, dès le primaire, pour améliorer les compétences des enfants dans la résolution de problèmes et développer leur créativité en introduisant l'idée de la programmation via des énigmes et des défis. Ils apprennent le code et l'environnement qui les entoure via des blocs de bois en interaction avec un personnage visible sur l'écran d'ordinateur.
Concernant la réceptivité des enfants, il n'y a pas vraiment de doute. Il s'agit de Digital natives. De plus, les tablettes sont très intuitives pour les tout-petits si l’on compare avec l'ordinateur et sa souris pas forcément facile à utiliser dès le plus jeune âge. Les applis offrent des graphismes adaptés pour repérer facilement les formes et les couleurs, en jouant avec les sons. Et les serious games semblent s'intégrer de mieux en mieux dans les projets pédagogiques car l'élève évolue à sa manière et à son rythme, peut améliorer ses scores, revenir sur certaines étapes, etc. Le rôle de l'enseignant évolue. Il accompagne l'élève dans sa progression via le jeu : il répond à ses interrogations, il peut suivre les difficultés rencontrées via un tableau de bord et proposer des exercices/ressources en conséquence pour faire progresser l’enfant etc. Un accompagnement personnalisé se met en place. Comme la classe inversée, l'enseignant apporte un apprentissage différent qui place l'élève au centre pour un meilleur épanouissement. L'étude EXTATE sur l’intégration des tablettes dans plusieurs écoles primaires illustrent parfaitement l'appropriation de ce type d'outils.
Existe-t-il un marché du numérique (outils numériques, startups spécialisées) adapté à l'enseignement des plus jeunes?
Oui, il existe de plus en plus d'outils et de contenus adaptés pour les écoles et pour la maison. Le marché des tablettes pour enfants est en plein boom. A Noël dernier, la tablette éducative préscolaire de VTech fut un véritable carton. VTech est d'ailleurs le premier fabricant de jouets à avoir introduit l'électronique dans les jeux pour enfants. Le Lexibook kid pad a également très bien marché lors de sa sortie. Le leader des applications éducatives mobiles, eduPad, propose des applis dès le CP réalisées avec des enseignants pour compléter et enrichir les programmes scolaires. Il y a aussi un boom des ebooks pour rendre les cartables moins lourds et rendre la lecture plus attractive via du contenu enrichi.
La multiplication des applications pédagogiques est aussi à noter : DragonBox Algebra pour les équations, les robots de Play-I relié à une tablette pour apprendre à coder, MyBlee pour apprendre les maths ou encore S.O.S Mission Eau par Dowino. Et puis le gros, Microsoft Education qui propose des produits pédagogiques à destination des enseignants, des chefs d'établissement et des enfants. La classe immersive via un scénario pédagogique propose justement de découvrir les différents outils : tablettes, windows 8, 3D… et d'aménager sa classe en conséquence.
Le marché de l’enseignement numérique est en plein essor. On le constate avec les MOOCs qui suscitent beaucoup d’interrogations : sont-ils l’avenir de l’apprentissage ? Sont-ils adaptés à tous les profils ? Le présentiel possède-t-il toujours sa place dans l’apprentissage ? Ce nouveau modèle d’apprentissage a suscité un véritable engouement aux Etats-Unis et tente de percer en France avec les plateformes comme FUN, Coursera, Openclassrooms. Il faut noter que le gouvernement tente d’accompagner les enseignants dans cette révolution numérique en sélectionnant des projets pour le programme "Faire entrer l'école dans l'ère du numérique", par exemple :
- un portail pour les enseignants Eduthèque, qui offrent des ressources pédagogiques;
- M@gistère pour former les enseignants en continu.
N'y-a-t-il pas un risque d'exposer prématurément les enfants aux dangers d'internet?
Si les enfants sont encadrés dès le plus âge pour une sensibilisation aux dangers d'internet, les risques peuvent être minimisés. Au contraire, si les enseignants et les parents mettent de côté les nouvelles technologies, comment pouvons-nous préparer les enfants à l'environnement qui les entoure et à ses risques ? On le constate avec les générations Y et Z qui n'ont pas pu être sensibilisées à un nouvel environnement et qui se retrouvent avec une quantité d'informations personnelles en libre accès sur la toile.
Comment expliquer l'écart entre les niveaux d'équipements des lycées et collèges par rapport aux écoles primaires, voir même les maternelles? Est-ce si logique?
L'écart peut s'expliquer par l'importance apportée au numérique dans l'enseignement. Il y a une certaine réticence sur l'intégration d’équipements numériques auprès des enfants mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit de digital natives. Il est donc naturel pour les plus jeunes de voir et d'utiliser un équipement numérique.
Les collèges et lycées sont davantage favorisés pour développer au maximum des projets innovants mais je pense que l'équipement doit être optimal dès la maternelle. La France est d’ailleurs en retard sur l’enseignement numérique et cela s’explique en partie par le manque d’un dispositif pédagogique adapté, accompagné du déploiement des équipements dans les établissements.
On peut prendre, comme exemple, les pays nordiques. Ils ont su intégrer les TICE dans l'enseignement en adaptant une méthodologie propre à chacun. Les pratiques sont donc différentes selon les pays (en fonction du système pédagogique de base et de son évolution, des attentes des élèves et des enseignants, des projets annuels, etc) et elles prennent en considération les fonctionnalités des outils et le niveau de connaissances des enseignants pour une intégration efficace en cours.
Le Grand plan numérique pour l'Ecole de la République, annoncé à l'occasion de la dernière rentrée n'est encore pas concrétisé mais suscite déjà des réactions enthousiastes ou sceptiques. Quel est votre avis, particulièrement pour l'école primaire?
C'est bien évidemment quelque chose de positif mais je pense que le système éducatif français a beaucoup de travail à faire à ce sujet. La formation des futurs enseignants est un point très important. L'intégration d'un dispositif d’enseignement numérique devrait être présente dans la formation des enseignants. Apporter des outils numériques dans les écoles n'est pas suffisant. Il faut déployer un véritable dispositif pour intégrer les TICE de manière efficace et utiliser au mieux les atouts pédagogiques de ce genre d'outils. Pour une réussite du Grand plan numérique, la formation des enseignants et futurs enseignants est primordiale : comment les introduire, pour quelles raisons, pour quels objectifs et enjeux… et sur le long terme. L'environnement numérique évolue très vite. La formation en continu a, ici, toute son importance. De plus, il faut faire face aux réticences liées aux nouveautés d'un système pédagogique innovant. Comment nos enseignants sont préparés à cela ? Avant d'équiper tous nos établissements scolaires, préparons d'abord nos équipes éducatives pour de meilleurs résultats. De plus, un retard s'installe entre les technologies présentes à la maison et présentes à l'école. Aujourd'hui, les foyers sont très bien équipés et les enfants sont habitués à voir et utiliser les outils numériques chez eux, seuls ou avec leurs parents. Ils sont donc confrontés à une utilisation dite domestique avec de bonnes ou de mauvaises habitudes. Cela complique ainsi la démarche des enseignants : ils ont déjà leurs habitudes d'utilisation des outils technologiques. Il faudra prendre ce paramètre en considération lors de l’intégration des outils numériques dans un programme d’enseignement : comment utiliser les acquis des enfants sur ce type d'outils dans l'enseignement à l’école ?
Comment percevez-vous les prochaines années dans le numérique et l'enseignement des plus jeunes?
Passionnantes et évolutives. On peut noter la richesse des projets pour l’évolution de l'enseignement et c'est plutôt une belle chose. J'espère que le numérique aura sa place dans le système éducatif français et qui plus est, sera quelque chose de bénéfique pour les enfants. L’implication des enseignants est également à mentionner. Des groupes de réflexion et de travail se mettent en place pour concevoir des projets en partenariat avec les équipes éducatives. Il est important d’écouter nos enseignants et de partager avec eux sur l’évolution du système éducatif.
Nous avons beaucoup de choses à faire pour relancer notre système éducatif et passionner les élèves. L'e-learning et les MOOCs, l'impression 3D, le cloud, les objets connectés, les labos virtuels… Autant de choses à découvrir et à améliorer pour que nos enfants s’épanouissent de la meilleure des manières tout en étant conscients des risques de l’environnement qui les entoure.