[Interview] Guillaume Caron décrit pour Educadis son expérience de l’enseignement et du numérique en zone d’éducation prioritaire
Guillaume Caron est professeur de mathématiques dans un collège d’éducation prioritaire depuis six ans. Il est l’auteur d’un blog explorant notamment les mathématiques, les méthodes pédagogiques et l’utilisation des TICE. Guillaume a répondu aux questions d’Educadis sur son expérience des TICE dans l’enseignement en zone prioritaire.
En quoi les mathématiques sont-ils particulièrement compatibles avec le numérique ?
Le numérique a toute sa place dans les mathématiques, notamment dans le travail de recherche, de conjecture ou encore avec les logiciels de géométrie dynamique, qui sont extrêmement intéressants pour les élèves. Ceux-ci peuvent également utiliser des tableurs pour résoudre des problèmes ou même les réseaux sociaux pour créer des situations de communications scientifiques. Au-delà de l’aspect éducatif, les mathématiques ont de nombreuses applications évidentes dans l’informatique.
Estimez-vous l’usage des TICE comme un avantage pour l’éducation nationale, et un plus particulier pour les zones d’éducation prioritaires ?
Les TICE sont clairement un plus ; on ne peut pas faire l’économie de ces technologies. Elles permettent de varier les situations d’apprentissage, d’accrocher davantage les élèves, et aussi de les former à l’utilisation des nouvelles technologies. Nous savons très bien que les élèves que nous avons actuellement utiliseront dans leur futur ces nouvelles technologies, à la fois dans la vie professionnelle et dans la vie privée. Il y a ainsi un double aspect dans l’usage des TICE : celui de l’apport dans les apprentissages actuels, et la formation des futurs citoyens qui auront besoins de ces technologies.
Ressentez-vous un intérêt particulier, une attirance poussée vers les outils numériques ?
Il y a un intérêt naturel, avec notamment les ordinateurs et les tablettes. Les élèves sont familiarisés à ces outils. Nous sentons clairement une attention soutenue pour ce matériel qui les intéresse, et lève les barrières de l’apprentissage. C’est vraiment un plus qui permet d’accrocher différents profils d’élèves. Certains ont besoin de ces outils pour par exemple mieux maîtriser la géométrie dans l’espace ; le numérique permet d’avoir différents supports, autres que le simple format papier. A nous de capitaliser sur cet intérêt et d’intégrer les outils numériques à une pédagogie centrée sur l’élève.
De plus en plus de startups se spécialisent dans le soutien scolaire, et même spécifiquement dans les mathématiques. Que pensez-vous du soutien scolaire en ligne ?
Je suis contre ce genre de choses. Le soutien doit être intégré. Nous devons réussir à différencier et personnaliser les apprentissages au sein de nos classes et non externaliser sans cesse pour laisser cela à des sociétés. Plus généralement ce sont souvent les publics favorisés qui ont accès à ces ressources. Pour ce qui est des entreprises proposant des ressources payantes, la chose est carrément rédhibitoire ; culturellement, les élèves d’éducation prioritaire ne vont pas vers ces services. Je pense que ceux-ci creusent encore davantage le fossé entre un public favorisé et un autre aux possibilités plus modestes. D’ailleurs, de nombreuses sociétés développent des applications spécifiquement dédiées à l’enseignement des mathématiques, mais qui ne sont pas forcément pertinentes sur le plan pédagogique. C’est parfois en détournant des outils numériques que les situations pédagogiques sont les plus intéressantes.
Vous sentez-vous suffisamment formé au numérique, et équipé ?
A titre personnel, oui. A un niveau général, il en faudrait toujours plus; si les professeurs pouvaient être encore mieux formés, ce serait mieux. Il existe des stages, mais les inscriptions ne sont pas obligatoires. Certains font la démarche, d’autres non. Dans tous les cas, cette formation ne doit pas être déconnectée de la pédagogie. Le numérique est un outil et ne tourne pas à vide. Au sujet de l’équipement, le matériel commence à être bien présent, voir à devenir la norme, même si bien des choses restent encore à améliorer. Chez nous par exemple, nous n’avons pas encore le WiFi. La grande question est : faut-il équiper en masse tous les établissements, ou privilégier ceux qui ont des projets spécifiques en matière de numérique ?
Y-a-t-il un décalage entre les professeurs au sujet du numérique, en intérêts personnels, ou au niveau générationnel ?
Les différences résident principalement dans l’intérêt de chacun. Il y a des professeurs qui sont plus attirés par les TICE, et d’autres pas du tout. Le constat est lié aux parcours professionnels, selon l’utilisation de ces outils dans la vie personnelle. Certains ne les utilisent pas, et donc ne se sentent pas capables de les utiliser avec leurs élèves. D’autres ne sont tout simplement pas attirés. Il n’y a pas de généralités, ni de différences générationnelles. Même si les nouveaux professeurs ont naturellement grandi avec les nouvelles technologies, cela n’empêche par les enseignants un peu plus âgés de se former à leur tour.
Quelle est votre opinion sur les avancées réalisées par les plans numériques gouvernementaux dans le passé, et sur l’annonce d’un futur « grand plan numérique pour l’Ecole de la République ? »
Je ne sais pas vraiment quoi en penser, puisque l’on ne sait pas concrètement ce que cela va donner sur le terrain Est-ce que la traduction se fera par des efforts massifs pour tous, ou est-ce que l’on répondra à des demandes précises des équipes ? Difficile de se positionner à ce stade. Même si la volonté semble présente, ce qui est positif, nous attendons des actes concrets. Au sujet des anciens plans, il est évident que des progrès ont été accomplis. Notre collège dispose par exemple de trois salles informatiques ; nous sommes beaucoup plus équipés qu’il y a quelques années. Cependant des décalages existent toujours entre les annonces et les équipements. Pour réussir, un plan numérique ne doit pas se limiter à de l’équipement.